La “Vetus Syra”, redécouvrir les Évangiles dans la langue d’origine de Jésus – Aleteia
La « Vetus Syra » est la première traduction complète d’une famille de manuscrits oubliés, rédigés dans les mots mêmes de la langue orale de Jésus. Auteur de cette traduction publiée par les Éditions des Béatitudes, le père Étienne Méténier, Frère de la Communauté des Béatitudes, chercheur à l’École biblique de Jérusalem et docteur en théologie, raconte l’histoire de cette redécouverte et du trésor qu’il constitue pour s’approcher du Messie comme un être de chair, que le croyant peut rencontrer et aimer personnellement.
Frère de la Communauté des Béatitudes, chercheur à l’École biblique de Jérusalem et docteur en théologie, le père Étienne Méténier, a traduit les quatre Évangiles dans l’état de texte le plus proche de la langue orale qui avait cours à l’époque du Christ. Ce livre est le fruit de sa thèse de doctorat mis à la portée du grand public par les Éditions des Béatitudes. Cette édition nous rapproche du contexte et de la pensée du milieu juif du Ier siècle. À la manière des Pères de l’Église qui étaient pétris de la Parole, les annotations proposées permettent d’entrer dans une intelligibilité spirituelle où foi et raison invitent à la contemplation, l’adoration et la gratitude.
Aleteia : Pourquoi cette version très ancienne des évangiles, écrite en araméen, n’avait encore jamais été traduite ?
Frère Étienne Méténier : La Vetus Syra ou « Ancienne Syriaque » est une famille de cinq manuscrits, redécouverts peu à peu, à partir du XIXe siècle dans deux monastères du désert d’Alexandrie et du Sinaï. Des explorateurs britanniques en trouvèrent deux dans les bibliothèques monastiques, et les trois autres n’ont été mis au jour qu’après un incendie en 1975, derrière une paroi effondrée. Comme souvent pour les manuscrits antiques, plusieurs de ces textes, dont les derniers feuillets publiés à Oxford en 2023, sont des palimpsestes : des peaux d’agneau sur lesquelles le texte a été effacé et remplacé par un autre plus moderne. Un nouvel équipement d’imagerie multispectrale développé par l’Université de Californie (UCLA) dans les années 2010, associé aux techniques d’intelligence artificielle, permet d’accéder à ces textes rincés et gommés, sans révélateur chimique destructeur. On photographie les parchemins en projetant sur eux des dizaines de couleurs différentes sous différents angles, et un logiciel fait la somme des micro-différences. La science biblique recense environ 25.000 manuscrits du Nouveau Testament aujourd’hui — beaucoup sont fragmentaires : 11.000 sont en latin, 5.800 en grec, 350 en syriaque, le nom chrétien de l’araméen, la famille de langue de Jésus et de ses apôtres (les autres sont dans les langues européennes médiévales, et quelques dizaines, anciens aussi, en arménien, géorgien et copte). Et chacun présente quelques différences ou « variantes ». Depuis cinq siècles notamment, afin de publier le Nouveau Testament en langues modernes, on a donné la plus grande attention au grec, qui était la langue de la culture dans les grandes villes de l’Empire romain, pour les disciples partant dans cette direction. Il est logique d’avoir des écrits dans la langue des destinataires.
Dans un souci d’uniformisation du Nouveau Testament et donc de la foi, notamment face aux hérésies antiques, l’Église a alors cherché à standardiser le texte.
Or l’évangélisation s’est faite très tôt aussi en dehors de l’Empire romain, comme vers l’Éthiopie, ou particulièrement, la Mésopotamie, où l’araméen était la lingua franca, et au-delà. On sait de plus par un juif lettré contemporain de la rédaction des Évangiles, Flavius Josèphe, qu’il écrivait d’abord en araméen, puis avec une équipe, aussi en grec, avec quelques différences. Dans un souci d’uniformisation du Nouveau Testament et donc de la foi, notamment face aux hérésies antiques, l’Église a alors cherché à standardiser le texte : le Nouveau Testament syriaque a ainsi été en grande partie conformé au texte grec « byzantin », formant la Bible dite « Peshitta » des Églises syriaques et maronites. L’usage de la Vetus Syra a ainsi fini par disparaître au XIIe siècle. Mais Jésus dans sa vie quotidienne et sa prédication ne parlait pas le grec : la Vetus Syra montre Jésus dans sa langue, sa culture et la religion de ses pères.
Qu’est-ce que ce texte oublié puis redécouvert, nous apprend aujourd’hui ?
La multiplicité sans équivalent des textes néotestamentaires anciens, tout en présentant une convergence générale impressionnante, est une merveille pour toute personne s’intéressant à la Bible. D’une part pour les croyants, car la Vetus Syra nous déshabitue des traductions habituelles, et car cette diversité du texte nous évite le littéralisme fondamentaliste d’une forme fantasmée d’un texte descendu magiquement du Ciel en une version unique. Dieu qui s’est révélé dans la personne du Verbe, Jésus-Christ, ne souhaite pas que l’on divinise un livre, support matériel et aide-mémoire, mais qu’on le cherche peu à peu et jusqu’à le rencontrer Lui-même pleinement, à la Parousie ! D’autre part, même sans la foi, les Évangiles sont le fondement de la civilisation occidentale qui a répandu — malgré les accrocs par infidélité — le respect de la dignité de toute vie humaine et la distinction du temporel et du spirituel, permettant la démocratie universelle et les progrès scientifiques et technologiques. Le calendrier commun, les noms des lieux et des personnes, les arts, les valeurs occidentales historiques viennent de l’Esprit divin qui inspira l’Évangile. L’entendre avec ses accents historiques aide à prendre conscience d’où nous venons et qui nous sommes.
Le travail effectué en particulier depuis Léon XIII et Pie XII d’aller puiser aux sources hébraïques de l’Ancien Testament (manuscrits bibliques et interprétations par les Juifs) doit être opéré à présent aussi pour les Évangiles et le reste du Nouveau Testament ! J’en ai personnellement compris et éprouvé la nécessité d’une part pendant mes années de mission sur les cinq continents, et d’autre part pendant une dizaine d’années au Moyen-Orient chez les chrétiens syriaques puis à Jérusalem : nous avons besoin d’un texte aussi fidèle, c’est-à-dire historiquement enraciné, que possible ; son annonce avec foi touche bien plus les cœurs que toutes nos argumentations et actions humaines.
Comment se présente cette nouvelle traduction ? En quoi est-elle rendue accessible pour enrichir la méditation de la Parole de Dieu ?
Selon un grand nombre de lecteurs, un des principaux apports de cette nouvelle édition n’est pas seulement de présenter les Évangiles d’après l’araméen ancien et avec des commentaires issus de la tradition juive qui était celle de Jésus et de ses apôtres, mais aussi de permettre la compréhension de toutes les difficultés du texte. On peut entrer dans sa profondeur théologique. Jusqu’à présent en effet, les traductions disponibles, non seulement se focalisaient absolument sur un texte grec moderne composite unique, mais se contentaient aussi de quelques notes seulement, traitant surtout de reconstitutions hypothétiques d’un état du texte, et en écartant même des variantes jugées « tardives ». Ici, le lecteur qui souhaite creuser dispose s’il le souhaite de 3000 notes de bas de page et de 50 tableaux de lecture de synthèse transversale (par exemple sur Qui est le Père, La divinité de Jésus, Les 12 apparitions du Ressuscité…). L’édition biblique francophone rattrape ainsi également tout son retard sur la pédagogie des grosses bibles d’étude évangéliques anglophones, et se met au niveau de la Ignatius bible de Scott Hahn, publiée en même temps aux États-Unis. Beaucoup de nos lecteurs recommandent l’usage des quatre Évangiles de la Vetus Syra pour la lectio divina, méditation quotidienne de l’évangile du jour de l’Église (selon le cycle commun aux catholiques et protestants), en complément de la version liturgique, surtout faite pour la proclamation.
Quels trésors dans la langue originale de Jésus avez-vous personnellement découverts qui ont fait grandir votre foi ?
Il ne s’agit pas d’attendre de nouveauté fracassante, car la foi est « Une » (Ep 4,5) depuis 2.000 ans, et l’Écriture nous prévient contre les démangeaisons d’oreilles (2Tm 4,3). On compte 1562 variantes par rapport au texte grec moderne, mais pour la plupart, elles sont mineures. En revanche, prises dans l’ensemble avec ces quatre Évangiles, elles nous montrent Jésus-Christ à la fois vrai Dieu, mais aussi vrai homme historique, juif de Galilée en chair, esprit et cœur. Pour dire une même réalité, autant le grec, façonné par cinq siècles de philosophie avant l’Incarnation, passe tout de suite au concept abstrait et tend alors à montrer le Christ comme un Sage, maître d’une doctrine certes nouvelle mais avec le risque d’en retenir surtout une éthique un peu gnostique, autant l’araméen montre le Messie comme un être de chair que le croyant peut rencontrer et aimer personnellement plus naturellement. On ne peut aimer vraiment quelqu’un sans commencer par bien le connaître ! L’Église universelle — syriaques inclus ! — commémore en 2025 les 1.700 ans du grand concile de Nicée, qui déclara explicitement cette double essence du Fils de Dieu Rédempteur. On sait précisément que l’Incarnation fut la principale pierre d’achoppement des adversaires de Jésus, et que son incompréhension a provoqué l’émergence de tous les gnosticismes, depuis l’Antiquité jusqu’aux errances anthropologiques modernes des théories du genre, du transhumanisme, et des atteintes à la vie des plus vulnérables. Cette édition contribue à fortifier notre foi dans sa vérité historique absolument unique, qui embrasse toute notre vie, et englobe l’avenir du monde.
Philippe Lissac, Aleteia, 29/05/2025