Recension sur Aleteia
Laurent Gay, de la drogue à la rédemption
Ancien toxicomane, Laurent Gay a connu la rue, la prison, la maladie, la perte de son épouse et de son enfant… avant de trouver Dieu et un nouveau sens à sa vie. Aujourd’hui, il partage des conseils, des défis, des paroles de Dieu et des témoignages pour prévenir et transmettre l’espérance aux jeunes et à leurs parents.
Cela fait des années qu’il n’a pas mis les pieds dans le 19e arrondissement de Paris. « Ça a changé », lance Laurent Gay le jour de notre rendez-vous. Né en 1964 dans le nord de la capitale, entre la porte de la Chapelle et celle d’Aubervilliers, dans le 18e arrondissement, c’est aussi dans le 19e qu’il a passé une partie de sa jeunesse cabossée. « Mes parents n’étaient pas particulièrement mauvais, simplement ils n’avaient pas beaucoup d’affect à l’époque. Mon père était plutôt rigide, ma mère était une mère poule. Mais on se parlait peu en famille », confie-t-il.
Enfant introverti, tout et tout le monde lui faisait peur. « J’avais un trouble de l’apprentissage, j’étais complètement perdu. Je n’étais pas un garçon hyper épanoui. À l’école, j’étais le bouc émissaire des garçons plus âgés, qui étaient dans ma classe. Ils me violaient, et moi, je ne disais rien. J’avais peur d’aller à l’école, jusqu’au jour où j’ai commencé à me battre à mon tour. C’est là que j’ai découvert une certaine force obscure en moi ». C’est ainsi que rapidement, il a fait partie des petites « racailles » du quartier. « J’avais l’impression d’exister avec ces garçons, moi qui n’avais pas de copains jusqu’ici », se souvient-il.
Ainsi, par la force des choses et de son entourage, il a commencé à mener une vie de voyou : premier joint fumé à 12 ans, premier shoot à l’héroïne deux ans après. Comme il l’explique, à l’époque, les toxicomanes n’avaient pas la même image qu’aujourd’hui. « Quand on prenait de la came, on était un bad boy, on avait l’impression d’être au-dessus des autres. Il n’y avait pas encore le sida. Aujourd’hui, on voit très bien ce qu’est le crack. Les gens sont vus comme des clochards. » Si au début, il a décidé de prendre de la drogue pour faire comme les autres, par la suite, elle lui permettait de fuir sa réalité. Une réalité qui s’est assombrie avec le départ de son frère aîné de la maison. « On a six ans d’écart. C’est quand il est parti de la maison, à ses 18 ans, que j’ai basculé. Je l’ai vécu comme une trahison car il était un peu le substitut de mon père. »
La descente dans la drogue et la délinquance
Les années suivantes ont été marquées par la dépendance, les vols, la délinquance… Ses parents, convoqués à plusieurs reprises à l’école mais aussi à la brigade des mineurs, ne voyaient pas le danger venir. « Je mentais beaucoup. Ma vie était un mensonge », explique Laurent Gay, qui a rapidement commencé à s’apercevoir de sa dépendance. « Quand je n’avais pas le produit, je n’étais pas bien. J’ai expérimenté le manque. C’est là que j’ai compris que je ne contrôlais plus rien du tout. J’ai fait quand même quelques tentatives de désintoxication, mais je retombais dans la came à chaque fois ». Sa famille a essayé de l’aider à plusieurs reprises, allant d’échec en échec. « Il faut savoir que quand on arrête la drogue, on rêve d’en reprendre. Il y a une véritable insatisfaction permanente. Tant qu’il n’y a pas quelque chose dans notre cerveau qui va nous booster, on n’est pas bien. Et quand on est dedans, on n’est pas bien non plus. C’est une spirale ».
Ma vie était un mensonge.
Une affaire judiciaire l’a poussé à quitter Paris pour la campagne où il a intégré une ferme de désintoxication. « Je me rendais compte que je commençais à être ciblé dans les banques, j’avais un sursis avec mise à l’épreuve, je me faisais rechercher, je faisais n’importe quoi… Partir à la campagne m’a fait beaucoup de bien ». C’est aussi ici qu’il a rencontré pour la première fois l’amour : une jeune femme de 20 ans, Florence. « Tout allait bien mais je ne savais pas que la drogue c’est une maladie chronique. J’aurais dû rester à la ferme, mais je suis revenu sur Paris et, avec les copains, j’ai replongé dans la drogue », lance-t-il avec regret, ajoutant que « c’était plus fort que lui ».
Perte d’un enfant, tentative de suicide et incarcération
Avec Florence, ils ont dormi n’importe où, dans des squats, chez des amis… Ils ont dealé, ils se sont drogués, jusqu’au jour où, dans un moment de lucidité, ils ont décidé de décrocher pour se poser, former une famille et avoir un enfant. « On a commencé à décrocher. On est reparti sur de bonnes bases. » Florence est tombée enceinte. Mais le bonheur du couple a été de courte durée : au quatrième mois de grossesse, les médecins ont annoncé à Florence qu’elle avait le sida. Dans les années 80, on ne connaissait pas encore bien cette maladie. Il n’y avait aucun traitement. Les médecins ont décidé de procéder à l’interruption de grossesse. Le verdict est tombé pour Florence : espérance de vie cinq ans. Ce jour-là, tout a basculé pour Laurent. « Je me doutais que j’avais aussi le sida. On s’est dit que ce n’est pas la maladie qui allait nous bouffer. On a décidé que c’était à nous de choisir comment en finir. Et donc là, nous avons fait plusieurs tentatives de suicide à l’aide de cocktails d’alcool et de drogues ».
Sauvé à plusieurs reprises par des pompiers, Laurent Gay a poursuivit néanmoins sa descente en enfer. En 1987, il s’est retrouvé impliqué dans une rixe qui s’est soldée par la mort d’un homme. Incarcéré à Fresnes, il a dû affronter à nouveau le supplice du manque. « A ce moment là, je ne suis pas bien du tout, il y a la surpopulation dans les prisons, donc ce n’est pas marrant, et on m’annonce au bout de quelques semaines que je suis porteur de la maladie. Dans ma tête, c’est fini, c’est terminé. Je me dis que je ne vais pas attendre de crever dans cette prison ». Un soir, il a donc préparé une lame pour en finir avec la vie, mais avant de passer à l’acte, il a soudainement imploré l’aide de Dieu, qui jusqu’ici n’existait pas dans sa vie. « Je n’avais pas peur de mourir, mais d’un coup l’idée de me retrouver en enfer m’a fait terriblement peur. J’étais baptisé plus par tradition qu’autre chose, je n’ai jamais mis les pieds dans une église, mais j’avais la notion du paradis et de l’enfer. »
La rencontre avec Dieu
En larmes, il s’est adressé à Dieu pour savoir s’il pouvait l’accepter dans son paradis. C’est alors qu’il a vécu sa rencontre avec le Christ. « J’ai eu l’impression que le temps a basculé. Il y a eu une visitation d’Esprit, on me l’a expliqué comme ça par la suite. J’ai ressenti une grande paix intérieure et j’ai vu quelque chose, un visage, comme dans un songe. Plus tard, j’apprendrai que c’était le visage du Christ sur le Saint-Suaire. J’ai entendu aussi deux mots qui depuis ne me lâchent jamais : confiance et espérance. J’ai laissé tomber ma lame et ai commencé à m’accrocher à ce que je venais de vivre. » Après un an et demi en prison, il a été libéré pour non-lieu, les juges ayant estimé que dans son cas il s’agissait d’une légitime défense.
Je n’avais pas peur de mourir, mais d’un coup l’idée de me retrouver en enfer m’a fait terriblement peur.
Malgré sa rencontre avec le Christ en prison, Laurent Gay est retombé dans sa vie d’avant. « Sauf que là, j’avais la conscience justement que je ne pouvais plus faire ce que je faisais avant, comme voler par exemple. J’avais une conscience éclairée, mais j’étais perdu. Je n’arrivais pas à résister à la drogue, je criais vers Dieu, j’allais dans les églises, mais je ne comprenais rien, j’en voulais presque à Dieu car Il s’est révélé à moi et après il ne s’est rien passé », explique Laurent Gay, ajoutant que peu de temps après, il a été admis sous contrainte dans un établissement psychiatrique.
Le sida s’est déclenché rapidement en lui, il a eu une hépatite et les médecins ont décidé de le transférer à l’hôpital Bichat, là où sa compagne, Florence, était aussi soignée. « Les médecins m’ont dit qu’il ne me restait pas beaucoup de temps à vivre. À ce moment, la seule chose que je demandais à Dieu, c’est de me réconcilier avec ma famille. Je me disais que si je devais mourir, je devais demander pardon avant. »
Une nouvelle vie
Alors qu’il vivait un véritable tsunami, Paul-Emmanuel, un bénévole a croisé son chemin. C’est la première personne qui l’a vu en tant que personne et non comme un toxicomane. Paul-Emmanuel est catholique. Laurent s’est confié à lui, lui racontant ce qu’il a vécu en prison. « Je pensais que j’étais peut-être fou. Il m’a rassuré et m’a introduit à la maison de la communauté des Béatitudes qui accueillait des malades en fin de vie. » C’est ici que sa vie a changé pour de bon.
Laurent a arrêté la drogue sans aucun traitement, retrouvé un équilibre de vie et une paix intérieure. « Je priais beaucoup le chapelet, je pensais que plus j’allais le prier, plus Dieu serait à mon écoute », sourit-il. C’est un homme nouveau qui est apparu. Il a repris du poil de la bête, au point que les médecins en sont resté étonnés. Il a même réussi à accompagner Florence jusqu’à son dernier souffle. « La seule chose que j’ai pu lui transmettre, c’est une paix intérieure. Ce jour-là, j’ai fait une promesse que j’aurais dû faire avant : celle de ne plus jamais retomber ». Une promesse qu’il tient depuis plus de 30 ans.
Un engagement pour les jeunes et leurs parents
Un des premiers patients à recevoir le traitement contre le sida, Laurent Gay est aujourd’hui marié à l’une des anciennes bénévoles de la maison de la communauté des Béatitudes. Le couple a deux enfants, âgés de 25 et 20 ans. « Pendant des années, je me suis posé la question sur ma vocation. Après avoir passé neuf ans dans la communauté, j’ai su que la vie religieuse n’était pas pour moi », déclare-t-il. C’est lors d’un voyage au Pérou, organisé par la communauté, qu’il a découvert ce qu’il voulait vraiment faire. « J’étais dans l’un des plus gros bidonvilles du pays en mission, et j’ai découvert ma vocation d’éducateur. J’ai trouvé ma place. »
Installé en Vendée depuis plusieurs années, il témoigne aujourd’hui auprès des jeunes et de leurs parents de son parcours. « C’est très important pour moi d’aider les autres comme on m’a aidé moi. Mon attachement premier sur cette terre, c’est d’aider les autres. C’est ma raison d’être », précise-t-il. Et d’ajouter : « Je pense que la drogue me possédait. Mais attention, quand je dis ça, ce n’est pas pour m’excuser de quoi que ce soit. J’ai fait des conneries et j’assume tout le mal que j’ai fait. Je pense que c’est en réparation de tout ceci que j’ai monté une association, l’Association Les Amis de Laurent Gay (AALG), qui a pour objectif de sensibiliser et de prévenir les jeunes face aux dangers des addictions et de la violence. »
Alors qu’il vient de publier un livre qui s’adresse aux jeunes, Espère ! Petit manuel pour avoir foi en la vie, aux Éditions Artège, il affirme que son souhait est de donner aux jeunes les clés pour grandir et donner sens à leur existence.
Anna Ashkova, Aleteia, le 14 octobre 2025